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Centrafrique : le manque de moyens judiciaires et pénitentiaires s’impose pour le désengorgement des maisons carcérales

À la maison carcérale de Ngaragba, l’une des plus grandes prisons en République de Centrafrique où la surpopulation atteint un seuil critique. Avec 1 636 détenus pour 350 places, l’établissement carcéral tourne à plus de 500 % de sa capacité. Parmi eux, plus d’un tiers restent en détention préventive prolongée, au-delà des délais légaux et exposés à des conditions de vie dégradantes. Dans ce contexte, l’initiative de dix avocats commis d’office par le Barreau centrafricain, soutenue par la MINUSCA, apparaît comme une bouffée d’air pour certains prisonniers, mais soulève surtout des questions structurelles sur le système judiciaire et pénitentiaire du pays.

La surpopulation de Ngaragba n’est pas un fait nouveau, mais elle illustre l’échec persistant du système pénal à respecter les normes légales de détention préventive. Selon le Code de procédure pénale centrafricain, une personne inculpée en affaires correctionnelles ne peut être maintenue au-delà de six mois avant jugement, et seize mois pour les affaires criminelles. Au-delà de ces délais, le juge doit ordonner la libération. Or, à Ngaragba, 568 détenus dépassent ces délais, parfois de plusieurs mois, faute de procédures accélérées et de ressources suffisantes.

Cette situation traduit un double défi : un manque de moyens judiciaires et pénitentiaires pour traiter les dossiers dans les temps, et un impact humanitaire sévère sur les détenus, souvent issus de milieux défavorisés. La détention prolongée fragilise non seulement les individus, mais contribue également à l’instabilité sociale, car elle nourrit le ressentiment et l’injustice perçue.

Du 15 au 20 septembre 2025, dix avocats ont été dépêchés à Ngaragba pour fournir une assistance juridique gratuite aux détenus sans ressources. Ces consultations permettent d’identifier les cas de détention prolongée et, si nécessaire, de saisir la chambre d’accusation pour demander la libération ou la régularisation de la situation. Depuis le lancement du projet le 30 juillet 2025, environ 150 détenus ont déjà bénéficié d’un premier accompagnement juridique.

Pour Jocelyn Ngoumbango Kohetto, responsable des affaires judiciaires à la MINUSCA, cette action est un moyen concret de renforcer le respect des droits fondamentaux et de soutenir le désengorgement progressif de la prison. Pour les détenus, cette opération représente une chance rare de faire reconnaître leur situation et, éventuellement, de recouvrer leur liberté.

Si cette initiative est saluée, elle met en lumière plusieurs enjeux structurels :

  1. La faiblesse institutionnelle du système judiciaire centrafricain : manque de magistrats, retards dans le traitement des dossiers, et procédures longues.
  2. L’impact humanitaire et sécuritaire de la surpopulation carcérale : des prisons saturées deviennent des foyers de tensions et d’instabilité.
  3. Le rôle des acteurs internationaux : la MINUSCA, à travers ce soutien, contribue à la stabilisation du pays en renforçant les institutions et en veillant au respect du droit.

À terme, le succès de cette initiative pourrait servir de modèle pour d’autres centres pénitentiaires du pays et participer à une réforme plus globale. Mais il reste que ces interventions ponctuelles ne remplacent pas la nécessité d’une justice plus rapide, mieux financée et équitable.

L’opération menée à Ngaragba est plus qu’une simple action humanitaire ou juridique : elle est révélatrice des défis systémiques de la justice centrafricaine et de la nécessité de réformes profondes. Derrière chaque détenu libéré ou régularisé se dessine l’enjeu majeur d’un État qui doit apprendre à conjuguer sécurité, droits fondamentaux et efficacité judiciaire.

Yasmine Alemwa Ibango

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