C’est une étape décisive que vient de franchir la République démocratique du Congo (RDC) dans sa quête de justice face aux violences persistantes dans l’Est du pays.
Ce jeudi 26 juin, à l’issue de sa 77e session ordinaire, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CAfDHP), siégeant à Arusha (Tanzanie), a rendu public son arrêt dans l’affaire opposant la RDC à la République du Rwanda.
Une décision qui pourrait faire date dans l’histoire judiciaire du continent est-elle enfin prise ?
Vous vous en doutez, la Cour africaine a rejeté toutes les exceptions d’incompétence soulevées par Kigali et se déclare compétente pour examiner l’affaire au fond.
La RDC accuse le Rwanda de violations massives et répétées des droits humains dans la région du Kivu, notamment dans les provinces du Nord et Sud-Kivu, théâtre d’un conflit sanglant opposant les FARDC à la rébellion du M23, soutenue par l’armée rwandaise.
Kinshasa affirme que ces actes s’inscrivent dans la continuité des « guerres d’agression » de 1998 à 2022, et dénonce l’impunité persistante de figures telles que Laurent Nkunda ou les leaders actuels du M23, visés par des mandats d’arrêt congolais. Les conséquences humaines et matérielles évoquées sont tragiques : massacres de civils, déplacements massifs, destruction d’infrastructures, pillages, atteintes au droit à la vie, à l’éducation, à la santé, à la dignité.
La requête congolaise s’appuie sur un socle juridique solide, incluant la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, le Protocole de Maputo sur les droits des femmes, la Charte africaine des droits de l’enfant, ainsi que les deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Le Rwanda, de son côté, contestait la compétence de la Cour, en avançant notamment que certains des textes invoqués n’étaient pas des instruments de droits humains, ou qu’il ne les avait pas ratifiés. La Cour a balayé ces arguments, considérant que les violations alléguées sont bel et bien couvertes par des traités dûment ratifiés par Kigali. Elle rappelle également que la compétence d’un tribunal international peut s’exercer même si les faits se déroulent en dehors du territoire de l’État défendeur, dès lors que ce dernier est impliqué, directement ou indirectement, dans la commission des actes dénoncés.
Dans cette décision détaillée, la Cour rejette également les exceptions d’irrecevabilité fondées sur des procédures amiables non respectées, l’absence de différend préalable, ou encore l’abus de procédure. Elle affirme que toutes les conditions prévues par les textes ont été respectées, et que la RDC est fondée à soumettre cette affaire à sa juridiction. Sur cette base, elle fixe au Rwanda un délai de 90 jours pour déposer sa réponse sur le fond, et à la RDC un délai de 45 jours pour y répliquer.
Cette affaire revêt une importance capitale. Elle ne se limite pas à un différend entre deux États voisins, mais questionne les fondements même de la paix, de la responsabilité et de la justice en Afrique. En se tournant vers la Cour africaine, la RDC fait le choix du droit, dans une région trop longtemps marquée par l’impunité et la violence. La décision finale de la Cour, attendue dans les prochains mois, sera scrutée de près par les familles de victimes, les défenseurs des droits humains, les États membres de l’Union africaine… et l’histoire elle-même.
Yasmine Alemwa Ibango