L’Assemblée nationale congolaise a autorisé, dimanche 15 juin, les poursuites judiciaires contre Constant Mutamba, ministre de la Justice, accusé de détournement de fonds publics dans un projet de construction d’une prison à Kisangani. Sur 363 députés présents, 329 ont voté en faveur de la levée de son immunité.
Le dossier repose sur un contrat de 29 millions de dollars, attribué de gré à gré à une société privée sans siège connu, ni personnel identifié, ni expertise attestée. Selon l’accusation, 19 millions de dollars ont été transférés en violation des règles de passation des marchés publics. Le contrat n’a pas reçu l’aval de la Première ministre et le taux d’avance (65 %) dépasse largement les 30 % autorisés par la loi. Le site de la future prison reste, lui, introuvable
Constant Mutamba rejette les accusations et dénonce un « acharnement politique ». Il affirme avoir agi dans le cadre d’une clé de répartition transmise par l’Inspection générale des finances, ce que l’IGF relativise. Il a par ailleurs récusé le procureur général, Firmin Mvonde, avec qui les tensions remontent à plusieurs mois.
Le caractère particulièrement sensible de l’affaire tient à l’origine des fonds utilisés. Il ne s’agirait pas d’argent du Trésor public, mais d’une partie des réparations versées par l’Ouganda à la RDC sur décision de la Cour internationale de justice en 2022. Sur les 325 millions de dollars dus, 195 millions ont déjà été transférés en trois tranches. Ces sommes, destinées à indemniser les victimes des exactions commises entre 1998 et 2003, sont gérées par un fonds spécial sous tutelle du ministère de la Justice, le Frivao.
Constant Mutamba affirme que la répartition de ces fonds a été validée par une clé transmise par l’Inspection générale des finances, prévoyant 12,5 % pour financer des infrastructures dans la région. L’IGF rétorque qu’aucune décision du Conseil des ministres n’a autorisé l’exécution de cette clé. L’alerte a été déclenchée par la Cellule nationale de renseignements financiers, qui a gelé le virement jugé suspect.
Le ministre se défend en dénonçant un « acharnement politique » motivé par ses réformes judiciaires. Il rappelle que plus de 14 000 victimes ont été indemnisées en huit mois, contre moins de 200 sous l’équipe précédente. Dans une tentative de riposte institutionnelle, il a récusé le procureur général Firmin Mvonde ainsi que les magistrats placés sous son autorité, évoquant un manque d’impartialité
Toutefois, le rapport de l’Assemblée nationale indique que les explications fournies par Constant Mutamba « ont davantage clarifié la matérialisation des faits mis à sa charge », parlant d’une « intention manifeste de détourner les fonds publics ». En revanche, les députés ont rejeté une deuxième requête du procureur visant le ministre pour outrage et incitation au manquement envers une autorité publique.
Ainsi, l’Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho) appelle à la prudence. Si les faits sont fondés, dit-elle, la justice doit suivre son cours. Mais, si les accusations relèvent de calculs politiques, il convient d’en mesurer la gravité.
D’où, le procès pourrait s’ouvrir dans les jours à venir. Car, selon la loi, le ministre Mutamba devrait d’abord présenter sa démission dans les 48 heures pour favoriser la poursuite du procès.
Yasmine Alemwa Ibango