C’est un séisme administratif qui ébranle la capitale. Une décision de justice exige l’expulsion de la Maison Communale de Limete, siège d’une autorité publique, pour occupation illégale d’un bien privé. Derrière ce scandale, se dévoile une réalité embarrassante : l’État congolais, souvent prompt à réclamer le respect des lois, peine lui-même à les appliquer lorsqu’il s’agit de son propre patrimoine.
Par une mise en demeure datée du 7 janvier 2025, l’huissier de justice Maître Mosengo Waya a sommé le Gouverneur de Kinshasa de libérer les lieux dans un délai de sept jours, faute de quoi il procédera à une expulsion forcée.
Cette injonction fait suite à un litige opposant la Succession Molebe à l’Hôtel de Ville de Kinshasa, tranché par le Tribunal de Grande Instance de Matete (RC 22.929) et confirmé par la Cour d’Appel (RCA 6757).
Malgré plusieurs significations et sommations restées sans suite, les autorités provinciales continuent d’occuper le bâtiment, abritant le commissariat de la commune et le bureau des PCR, en violation d’une décision judiciaire devenue définitive.
Cette affaire met en lumière un problème structurel récurrent : la majorité des bâtiments administratifs de Kinshasa ne sont pas la propriété de l’État.
Nombre d’entre eux appartiennent à des familles privées ou successions, parfois depuis l’époque coloniale. Faute de politique claire d’acquisition ou de construction, les services publics louent ou occupent illégalement ces biens, souvent sans régulariser les loyers ni conclure de baux formels.
Cette situation crée un paradoxe : l’État congolais, garant de la loi, se retrouve dans le rôle de l’occupant illégal, exposé à des décisions de justice qu’il est pourtant censé faire respecter.
Ce dossier révèle la désorganisation chronique de la gestion du patrimoine public.
Aucune cartographie fiable des biens de l’État n’existe, les responsabilités se diluent entre le gouvernement central, les provinces et les communes.
Résultat : des litiges à répétition, des dépenses injustifiées en loyers et une image d’impuissance institutionnelle vis-à-vis des tiers.
Cette affaire devrait pousser les autorités à repenser la politique foncière publique : auditer le patrimoine, régulariser les occupations, indemniser les propriétaires lésés et construire des bâtiments administratifs durables.
Au-delà du cas de Limete, ce bras de fer pose une question de fond : l’État congolais est-il au-dessus des lois ?
Si le Gouvernorat refuse d’exécuter une décision de justice, il envoie un message dangereux à la société : celui d’une justice à deux vitesses, où le citoyen obéit, mais l’administration s’exempte.
Cette crise, plus symbolique qu’il n’y paraît, devient donc un test de crédibilité pour l’État de droit en RDC.
Car au final, ce n’est pas seulement une commune qu’on menace d’expulsion, mais l’autorité même de la justice qui se retrouve en jeu.
Yasmine Alemwa Ibango
