L’Albanie a frappé fort. En intronisant Diella, ministre virtuelle en charge des marchés publics, le Premier ministre Edi Rama signe une première mondiale et propulse son pays dans l’ère de la politique augmentée par l’intelligence artificielle. Mais derrière l’innovation, c’est la nature même du pouvoir qui se trouve questionnée.
En confiant à une IA la supervision des marchés publics, Rama cherche à tourner la page d’une corruption chronique qui mine son pays depuis des décennies. Le signal est limpide : à Bruxelles, où l’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne reste suspendue à des réformes concrètes, Tirana veut apparaître comme un élève modèle. Diella devient le symbole numérique d’une promesse européenne.
Mais ce coup d’éclat est aussi un calcul politique intérieur. Rama impose un récit : celui d’un dirigeant visionnaire, modernisateur, qui prend de vitesse une opposition engluée dans ses propres scandales.
Reste que cette nomination soulève des questions démocratiques de fond. Qui programme Diella ? Qui valide ses arbitrages ? Et surtout, qui assume la responsabilité politique de ses erreurs ou de ses biais ?
Car l’intelligence artificielle n’est jamais neutre : elle reflète les données sur lesquelles elle a été entraînée et les intentions de ceux qui la contrôlent. Derrière l’apparente objectivité se cache donc une centralisation accrue du pouvoir.
L’Albanie se présente ainsi comme un laboratoire démocratique à ciel ouvert. Si l’expérience réussit, elle pourrait inspirer d’autres gouvernements en quête de légitimité. Mais si elle échoue, elle révélera les dangers d’une illusion technologique qui remplace la responsabilité politique par l’opacité algorithmique.
En pariant sur Diella, Edi Rama joue bien plus qu’un simple coup médiatique. Il engage son pays dans un pari historique : peut-on gouverner avec des algorithmes sans affaiblir la démocratie ?
La réponse conditionnera non seulement l’avenir politique de son gouvernement, mais aussi l’image de l’Albanie sur la scène européenne.
Une chose est sûre : avec Diella, la frontière entre pouvoir humain et pouvoir numérique est désormais brouillée. Et c’est là que commence le vrai débat.
Yasmine Alemwa Ibango